[b]Question sur corpus n°1, corrigé rédigé[/b]
(comme pour les corrigés de commentaire ou de dissertation, il ne s'agit évidemment
que d'une proposition, pas d'un modèle parfait et unique !)
Le corpus se compose de trois extraits de romans, issus d'époques et de mouvements
divers. Le roman dont est extrait le texte 1, La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette, a été
publié en 1678, et appartient au mouvement de la Préciosité ; le texte 2, extrait de Jacques le
fataliste et son maître, est paru en 1796, en pleine époque des Lumières ; quant au roman Mme
Bovary, dont est tiré le texte 3, publié en 1857, elle relève du Réalisme. Dans ces trois extraits, on
voit évoluer les personnages éponymes et il sera intéressant d'analyser les rôles divers qui leurs sont
assignés.
Pour commencer, il n'est pas surprenant de constater que chaque héros ou héroïne du
corpus fait réagir le lecteur, sentimentalement ; aucun n'est censé le laisser froid et indifférent. Le
héros peut ainsi servir à causer de la peine ou de la pitié au lecteur, quand il évolue dans un extrait
de registre pathétique, comme dans le texte 1 où le champ lexical de la douleur est très présent, et
où le point de vue interne permet d'entendre les tourments de Mme de Clèves. Mais le héros, tout au
contraire, peut servir à faire rire le lecteur. Dans notre corpus, deux textes en sont l'exemple : dans
le texte 2, Jacques semble ne vouloir qu'amuser son maître, et ses propos, retranscrits sous le mode
du théâtre, peuvent ainsi nous amuser nous aussi ; et dans le texte 3, c'est l'ironie du narrateur,
lorsqu'il décrit Charles Bovary, qui peut nous faire rire de ce dernier, balourd ridicule et enfantin qui
"n'enseignait rien", "ne savait rien, ne souhaitait rien". On peut aussi rire d'Emma, dans ce texte, et
de ses rêves exagérément lyriques et sans réalité, aux paysages irréels et aux personnages couverts
de vêtements soi-disant élégants et en fait ridicules. Enfin, le héros peut éveiller le sentiment
tragique chez le lecteur : dans le texte 1, en voyant la lutte perdue d'avance de Mme de Clèves
contre sa passion, en voyant comment elle se rend compte qu'elle perd le combat contre une force
plus grande qu'elle, on ne peut pas s'empêcher de ressentir à la fois la terreur (face à cette passion
dévorante) et la pitié (pour cette femme qui lutte et perd), les sentiments tragiques par excellence.
Par ailleurs, selon son statut par rapport au lecteur, le personnage occupe dans ce corpus
différentes fonctions. Ainsi, dans le texte 2, par moments, les personnages semblent comme à côté
du lecteur, dans le même monde que lui ; cette illusion est permise par l'emploi de la forme
théâtrale, au sein même du roman, et rend les personnages vraiment vivants. Mais dans les textes 1
et 3, les personnages sont un degré de réalité en-dessous du lecteur, ils vivent dans un monde de
papier, puisque nous les connaissons indirectement, dans les propos du narrateur ; mais comme le
point de vue interne prédomine (on y trouve ainsi du discours indirect libre, comme par exemple
dans les questions rhétoriques que se pose Mme de Clèves, ou dans les exclamations au sujet
d'Emma, "que ne pouvait-elle s'accouder (...) et des manchettes"), leur rôle est néanmoins de servir
de prisme, de filtre à travers lequel la réalité est perçue. Enfin, dans le texte 2, par endroits, lorsque
le narrateur produit du métatexte et commente son propre récit, les personnages sont tout à coup
comme deux niveaux en-dessous du lecteur ; alors ils ne servent plus que de jouets du narrateur,
tandis que le lecteur observe le narrateur en train de jouer avec eux, et peut soit s'en amuser, soit
s'en agacer.
Pour finir, la question dans ces trois textes est surtout de savoir si le personnage peut servir
de modèle ou de contre-modèle. On peut en effet parler de modèle héroïque pour Mme de Clèves,
qui lutte tout au long de l'extrait pour être fidèle à elle-même et à ses valeurs (typiques de la
Préciosité), même si "elle ne se reconnaissait plus elle-même" ; elle est son propre modèle. La fuite,
qu'elle choisit à la fin en s'apercevant qu'elle va perdre le combat, est la seule issue respectable qui
lui reste. Elle est véritablement une héroïne. En revanche, Emma Bovary est qualifiable d'antihéroïne,
et correspond ainsi au modèle du personnage réaliste : elle qui n'a pas le recul critique de
Mme de Clèves ne peut s'apercevoir qu'elle court à sa perte et que son "insaisissable malaise" est
seulement celui d'une femme qui a trop lu de romans d'amour et qui "songeait" au lieu de vivre ; on
ne peut que la plaindre, et souhaiter agir autrement qu'elle. Sur ce plan, les personnages de Diderot
sont problématiques : ils ne sont ni des modèles, ni des contre-modèles, mais seulement, comme
nous l'avons vu, des jouets du narrateur.
Il est donc évident que le rôle des personnages de roman, au fil des siècles et des
mouvements littéraires, a varié, mais nous avons vu certaines caractéristiques communes : ils
permettent de créer une réaction sentimentale du lecteur (le rire, la pitié, la terreur), ils permettent
de rendre le récit vivant ou bien de fournir un point de vue sur le monde et sur l'homme, et puis ils
peuvent servir de modèle ou de contre-modèle moral.